Hausse des dépenses publiques et paupérisation des services publics. Éclairages sur un paradoxe

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Le XXe siècle a été marqué par une montée de l’État que le retour des idées libérales n’a fait que freiner à partir des années 1980. En France, le rapport dépenses publiques sur PIB est passé selon Delorme et André de 14,4% en 1900, à 41,1% en 1950, puis 49,5% en 1972 (Delorme, R., 1983, André, C., L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publiques en France (1870-1980), Seuil, Paris, p. 723). En 2022, les dépenses publiques s’élèvent à plus de 1 500 milliards d’euros et représentent désormais 58,1% du PIB selon l’Insee. La France se place au plus haut niveau mondial, au coude à coude avec la Grèce et la Belgique. Ce chiffre révèle un fort degré d’intervention des administrations publiques dans la vie économique nationale.

Au fil du temps, les responsables politiques ont attribué de nouveaux rôles au budget : redistribution des revenus (droits de succession, impôt sur le revenu progressif, différentes formes d’allocations…), stabilisation de l’activité, assurance contre les risques sociaux, nouvelles politiques structurelles (emploi, culture, protection de l’environnement…). Progressivement, les administrations publiques se sont étoffées et enchevêtrées, elles se composent aujourd’hui de quatre “grands blocs” :

  • l’État “dit central” (ministères régaliens (défense, police, justice…), missions publiques d’enseignement, de recherche…) ;
  • les organismes de sécurité sociale (santé, retraites, famille, accidents du travail) ;
  • les collectivités territoriales (régions, département, intercommunalités, communes) ;
  • les organismes divers d’administrations centrales (ODAC). Les ODAC regroupent environ 700 structures qui prolongent l’action de l’État dans de nombreux domaines et illustre son omniprésence (AMF, ARS, BPI, CEA, INAO, Inserm, académies savantes, musées, Universités, Campus France, ENM…).

Ce millefeuille administratif français, décentralisé et déconcentré, entendait se rapprocher des usagers et visait un haut niveau de qualité de service. Qu’en est-il ? Les médias relaient très fréquemment un sentiment de dégradation des services publics. Cette perception pourrait ne traduire qu’une morosité ambiante et rappeler seulement le tempérament râleur et pessimiste des Français. Les enquêtes sur l’attractivité de la France auprès des investisseurs internationaux font ressortir la qualité de ses infrastructures, sa capacité d’innovation et de recherche ainsi que la qualité de la main-d’œuvre (voir en particulier l’indice d’attractivité du territoire des conseillers du commerce extérieur).

Pourtant, dans les faits aussi, la paupérisation de certains “grands services publics” du pays est bel et bien une réalité. Le cœur régalien des services publics souffre sans conteste d’un manque de moyens. Les forces de l’ordre (police et gendarmerie) peinent à garantir la sécurité des personnes et des biens. Une note de la Cour des comptes en date du 18 novembre 2021 souligne que le taux d’élucidation des enquêtes se détériore depuis plusieurs années et que le nombre d’agents sur le terrain n’augmente pas. Un sentiment d’insécurité a grandi depuis plusieurs décennies dans le pays.

La justice manque, elle aussi, de moyens comme en témoigne la lenteur de ses décisions (il fallait plus de neuf mois en moyenne pour obtenir un verdict devant le tribunal d’instance en 2019, et 14 mois devant la cour d’appel…). La surpopulation carcérale persiste. Ces manques ne sont pas étrangers à une crise de l’autorité de l’État. L’armée, quant à elle, souffre d’un retard structurel dans la maintenance de ses matériels et ses effectifs réduisent les ambitions de projection et d’influence du pays. De récentes lois de programmation tentent de corriger ces retards face à la montée des tensions internationales.

En matière de santé, les signaux d’alerte se multiplient : urgences saturées, fermetures de lits, pénurie de soignants, hôpital en crise, médecins en grèves, déserts médicaux… Dans le domaine de l’éducation, les élèves français ne brillent pas, dans l’enquête PISA 2018, sortie en 2019 (programme international pour le suivi des acquis des élèves) le pays est classé 18e parmi les 37 pays membres de l’OCDE et 23e sur l’ensemble des 79 pays évalués.

Comment, dès lors, expliquer ce contraste entre l’épaisseur des administrations et des dépenses publiques au plus haut d’un côté, et de l’autre la paupérisation de services publics reconnus comme essentiels ?


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